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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/43

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LA JOIE DE VIVRE.

permit d’affirmer Pauline. Je le ferai bien obéir.

Cazenove la regardait, amusé par son air réfléchi. Il la baisa de nouveau, sur les deux joues.

— Voilà une gamine qui est née pour les autres, déclara-t-il, avec le coup d’œil clair dont il portait ses diagnostics.

Chanteau hurla pendant huit jours. Le pied droit s’était pris, au moment où l’accès semblait terminé ; et les douleurs avaient reparu, avec un redoublement de violence. Toute la maison frémissait, Véronique s’enfermait au fond de sa cuisine pour ne pas entendre, madame Chanteau et Lazare eux-mêmes fuyaient parfois dehors, dans leur angoisse nerveuse. Seule, Pauline ne quitta pas la chambre, où elle devait encore lutter contre les coups de tête du malade, qui voulait à toute force manger une côtelette, criant qu’il avait faim, que le docteur Cazenove était un âne, puisqu’il ne savait seulement pas le guérir. La nuit surtout, le mal redoublait d’intensité. Elle dormait à peine deux ou trois heures. Du reste, elle était gaillarde, jamais fillette n’avait poussé plus sainement. Madame Chanteau, soulagée, avait fini par accepter cette aide d’une enfant qui apaisait la maison. Enfin, la convalescence arriva, Pauline reprit sa liberté, et une étroite camaraderie se noua entre elle et Lazare.

D’abord, ce fut dans la grande chambre du jeune homme. Il avait fait abattre une cloison, il occupait ainsi toute une moitié du second étage. Un petit lit de fer se perdait dans un coin, derrière un antique paravent crevé. Contre un mur, sur des planches de bois blanc, étaient rangés un millier de volumes, des livres classiques, des ouvrages dépareillés, découverts au fond d’un grenier de Caen et appor-