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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/444

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de Chanteau qu’il vint tomber. Des bravos éclatèrent.

— Avez-vous vu comme il s’est jeté ?… Ah ! il n’a pas froid aux yeux, ce sera pour sûr un gaillard.

Et, dès lors, on lui fit recommencer dix fois le trajet. Il n’avait plus peur, il partait au premier appel, allait de son grand-père à son père, et revenait à son grand-père, riant fort, très amusé du jeu, toujours sur le point de culbuter, comme si la terre avait tremblé sous lui.

— Encore une fois à papa ! criait Pauline.

Lazare commençait à se fatiguer. Les enfants, même le sien, l’ennuyaient vite. En le regardant, si gai, sauvé à cette heure, l’idée que ce petit être le continuerait, lui fermerait les yeux sans doute, venait de le traverser de ce frisson qui l’étranglait d’angoisse. Depuis qu’il avait résolu de végéter à Bonneville, une seule préoccupation lui restait, celle qu’il mourrait dans la chambre où sa mère était morte ; et il ne montait pas une fois l’escalier, sans se dire qu’un jour, fatalement, son cercueil passerait là. L’entrée du couloir s’étranglait, il y avait un tournant difficile dont il s’inquiétait continuellement, tourmenté de savoir de quelle façon les hommes s’y prendraient pour le sortir, sans le bousculer. À mesurer que l’âge emportait chaque jour un peu de sa vie, cette pensée de la mort hâtait la décomposition de son être, le détruisait au point d’anéantir ses virilités dernières. Il était fini, ainsi qu’il le disait lui-même, désormais inutile, se demandant à quoi bon bouger, se vidant de plus en plus dans la bêtise de son ennui.

— Encore une fois à grand-père ! criait Pauline.

Chanteau ne pouvait même tendre les mains, pour