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LA JOIE DE VIVRE.

son cou, il la faisait virer ainsi qu’une toupie, les jupes volantes, redevenu gamin lui-même, riant tous deux d’un bon rire d’enfance.

Ensuite, le piano les occupa. L’instrument datait de 1810, un vieux piano d’Érard, sur lequel, autrefois, mademoiselle Eugénie de la Vignière avait donné quinze ans de leçons. Dans la boîte d’acajou dévernie, les cordes soupiraient des sons lointains, d’une douceur voilée. Lazare, qui ne pouvait obtenir de sa mère un piano neuf, tapait sur celui-là de toutes ses forces, sans en tirer les sonorités romantiques dont bourdonnait son crâne ; et il avait pris l’habitude de les renforcer lui-même avec la bouche, pour arriver à l’effet voulu. Sa passion le fit bientôt abuser de la complaisance de Pauline ; il tenait un auditeur, il déroulait son répertoire, pendant des après-midi entières : c’était ce qu’il y avait de plus compliqué en musique, surtout les pages niées alors de Berlioz et de Wagner. Et il mugissait, et il finissait par jouer autant de la gorge que des doigts. Ces jours-là, l’enfant s’ennuyait beaucoup, mais elle restait pourtant tranquille à écouter, de peur de chagriner son cousin.

Le crépuscule parfois les surprenait. Alors, Lazare, étourdi de rythmes, disait ses grands rêves. Lui aussi, serait un musicien de génie, malgré sa mère, malgré tout le monde. Au lycée de Caen, il avait eu un professeur de violon, qui, frappé de son intelligence musicale, lui prédisait un avenir de gloire. Il s’était fait donner en cachette des leçons de composition, il travaillait seul maintenant, et déjà il avait une idée vague, l’idée d’une symphonie sur le Paradis terrestre ; même un morceau était trouvé, Adam et Ève chassés par les Anges, une marche