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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/71

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LA JOIE DE VIVRE.

ter, d’établir l’usine là-bas, près de Bonneville.

Les mois se passaient, Lazare n’était pas venu aux vacances. Tout l’hiver, il détailla ainsi son projet en pages serrées, que madame Chanteau lisait à voix haute, le soir, après le repas. Un soir de mai, un grand conseil eut lieu, car il demandait une réponse catégorique. Véronique rôdait, ôtant la nappe, remettant le tapis.

— Il est tout le portrait craché de son grand-père, brouillon et entreprenant, déclara la mère en jetant un coup d’œil sur le chef-d’œuvre de l’ancien ouvrier charpentier, dont la présence sur la cheminée l’irritait toujours.

— Certes, il ne tient pas de moi, qui ai l’horreur du changement, murmura Chanteau entre deux plaintes, allongé dans son fauteuil, où il achevait une crise. Mais toi non plus, ma bonne, tu n’es pas très calme.

Elle haussa les épaules, comme pour dire que son activité, à elle, était soutenue et dirigée par la logique. Puis, elle reprit lentement :

— Enfin, que voulez-vous ? il faut lui écrire de faire à sa tête… Je le désirais dans la magistrature ; médecin, ce n’était déjà pas très propre ; et le voilà apothicaire… Qu’il revienne et qu’il gagne beaucoup d’argent, ce sera toujours quelque chose.

Au fond, c’était cette idée de l’argent qui la décidait. Son adoration pour son fils portait sur un nouveau rêve : elle le voyait très riche, propriétaire d’une maison à Caen, conseiller général, député peut-être. Chanteau n’avait pas d’opinion, se contentait de souffrir, en abandonnant à sa femme le soin supérieur des intérêts de la famille. Quant à Pauline, malgré sa surprise et sa désapprobation