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LES ROUGON-MACQUART.

trouvait belle ; et, à son coucher, quand ses regards glissaient sur la rondeur fleurie de ses seins, jusqu’à la tache d’encre qui ombrait son ventre vermeil, elle souriait, elle se respirait un instant comme un bouquet frais, heureuse de son odeur nouvelle de femme. C’était la vie acceptée, la vie aimée dans ses fonctions, sans dégoût ni peur, et saluée par la chanson triomphante de la santé.

Lazare, cette année-là, resta six mois sans écrire. À peine de courts billets venaient-ils rassurer la famille. Puis, coup sur coup, il accabla sa mère de lettres. Refusé de nouveau aux examens de novembre, de plus en plus rebuté par les études médicales, qui remuaient des matières trop tristes, il venait encore de se jeter dans une autre passion, la chimie. Par hasard, il avait fait la connaissance de l’illustre Herbelin, dont les découvertes révolutionnaient alors la science, et il était entré dans son laboratoire comme préparateur, sans pourtant avouer qu’il lâchait la médecine. Mais bientôt ses lettres furent pleines d’un projet, d’abord timide, peu à peu enthousiaste. Il s’agissait d’une grande exploitation sur les algues marines, qui devait rapporter des millions, grâce aux méthodes et aux réactifs nouveaux découverts par l’illustre Herbelin. Lazare énumérait les chances de succès : l’aide du grand chimiste, la facilité de se procurer la matière première, l’installation peu coûteuse. Enfin, il signifia son désir formel de ne pas être médecin, il plaisanta, préférant encore, disait-il, vendre des remèdes aux malades que de les tuer lui-même. L’argument d’une fortune rapide terminait chacune de ses lettres, où il faisait en outre luire aux yeux de sa famille la promesse de ne plus la quit-