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LES ROUGON-MACQUART.

fouiller ses poches, pour voir si elle n’aurait pas sur elle des épingles. Cependant, ils arrivaient aux Picochets, il monta sur une roche, comme ils en avaient l’habitude, afin de reprendre haleine, avant de retourner à terre. Elle, autour de l’écueil, nageait toujours.

— Tu ne montes pas ?

— Non, je suis bien.

Il crut à un caprice, il se fâcha. Était-ce raisonnable ? les forces pouvaient lui manquer au retour, si elle ne se reposait pas un instant. Mais elle s’entêtait, ne répondant même plus, filant à petit bruit avec de l’eau jusqu’au menton, enfonçant la blancheur nue de son épaule, vague et laiteuse comme la nacre d’un coquillage. La roche était creusée, vers la pleine mer, d’une sorte de grotte, où jadis ils jouaient aux Robinsons, en face de l’horizon vide. De l’autre côté, sur la plage, madame Chanteau faisait la tache noire et perdue d’un insecte.

— Sacré caractère, va ! finit par crier Lazare en se rejetant à l’eau. Si tu bois un coup, je te le laisse boire, parole d’honneur !

Lentement, ils repartirent. Ils se boudaient, ils ne se parlaient plus. Comme il l’entendait s’essouffler, il lui dit de faire au moins la planche. Elle ne parut pas entendre. La déchirure augmentait : au moindre mouvement pour se retourner, sa gorge aurait jailli à fleur d’eau, ainsi qu’une floraison des algues profondes. Alors, il comprit sans doute ; et, voyant sa fatigue, sentant qu’elle n’arriverait jamais à la plage, il s’approcha résolûment pour la soutenir. Elle voulut se débattre, continuer seule ; puis, elle dut s’abandonner. Ce fut serrés étroitement, elle en travers de lui, qu’ils abordèrent.