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LA JOIE DE VIVRE.

un groupe de rochers dont quelques-uns restaient découverts à marée haute, se trouvaient éloignés d’un kilomètre environ. Et ils nageaient tous deux côte à côte, sans hâte, comme deux amis partis pour une promenade, sur un beau chemin tout droit. D’abord, Mathieu les avait suivis ; puis, les voyant aller toujours, il était revenu se secouer et éclabousser madame Chanteau. Les exploits inutiles répugnaient à sa paresse.

— Tu es sage, toi, disait la vieille dame. Est-il Dieu permis de risquer sa vie de la sorte !

Elle distinguait à peine les têtes de Lazare et de Pauline, pareilles à des touffes de varech, errantes au ras des vagues. La mer avait une houle assez forte, ils avançaient balancés par de molles ondulations, ils causaient tranquillement, occupés des algues qui passaient sous eux, dans la transparence de l’eau. Pauline, fatiguée, fit la planche, le visage en plein ciel, perdue au fond de tout ce bleu. Cette mer qui la berçait, était restée sa grande amie. Elle en aimait l’haleine âpre, le flot glacé et chaste, elle s’abandonnait à elle, heureuse d’en sentir le ruissellement immense contre sa chair, goûtant la joie de cet exercice violent, qui réglait les battements de son cœur.

Mais elle eut une légère exclamation. Son cousin, inquiet, la questionna.

— Quoi donc ?

— Je crois que mon corsage a craqué… J’ai trop raidi le bras gauche.

Et tous deux plaisantèrent. Elle s’était remise à nager doucement, elle riait d’un rire gêné, en constatant le désastre : c’était la couture de l’épaulette qui avait cédé, toute l’épaule et le sein se trouvaient à découvert. Le jeune homme, très gai, lui disait de