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Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/94

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— Oh ! ma tante, fais-le taire, ou je me sauve ! murmura-t-elle, confuse, en essayant de se dégager.

Peu à peu, il l’attirait, il jouait encore comme à l’époque de leur camaraderie d’écoliers ; et, brusquement, elle lui planta sur la joue un baiser retentissant, qu’il lui rendit au petit bonheur, dans une oreille. Puis, une pensée inavouée parut l’assombrir, il ajouta d’une voix triste :

— Un drôle de marché que tu fais là, ma pauvre enfant ! Si tu savais comme je suis vieux, au fond !… Enfin, puisque tu veux bien de moi !

Le dîner fut tumultueux. Ils parlaient tous ensemble, ils faisaient des projets d’avenir, comme s’ils se trouvaient réunis pour la première fois. Véronique, qui était entrée au beau milieu des accordailles, fermait à la volée la porte de la cuisine, sans desserrer les lèvres. Au dessert, on aborda enfin les questions sérieuses. La mère expliqua que le mariage ne pouvait avoir lieu avant deux ans : elle voulait attendre l’âge légal d’émancipation, elle n’entendait pas être accusée d’avoir opéré, à l’aide de son fils, une pression sur une enfant trop jeune. Ce délai de deux ans consterna Pauline ; mais l’honnêteté de sa tante la touchait beaucoup, elle se leva pour l’embrasser. On fixa une date, les jeunes gens patienteraient, et en patientant ils gagneraient les premiers écus des millions futurs. La question d’argent se trouva ainsi traitée d’enthousiasme.

— Prends dans le tiroir, ma tante, répétait la jeune fille. Tout ce qu’il voudra, pardi ! C’est à lui autant qu’à moi, maintenant.

Madame Chanteau se récriait.

— Non, non, il n’en sortira pas un sou inutile…