Page:Emile Zola - La Terre.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
110
LES ROUGON-MACQUART.

ramenait sans cesse vers la porte ; et un vif intérêt l’y planta toute droite, lorsqu’elle remarqua que le village s’étoilait de points lumineux. Par une échappée de la cour, entre l’étable et un hangar, l’œil plongeait sur Rognes entier. Sans doute, le coup de grêle avait réveillé les paysans, chacun était pris de la même impatience d’aller voir son champ, trop anxieux pour attendre le jour. Aussi les lanternes sortaient-elles une à une, se multipliaient, couraient et dansaient. Et la Bécu, connaissant la place des maisons, arrivait à mettre un nom sur chaque lanterne.

— Tiens ! ça s’allume chez la Grande, et voilà que ça sort de chez les Fouan, et là-bas c’est Macqueron, et à côté c’est Lengaigne… Bon Dieu ! le pauvre monde, ça fend le cœur… Ah ! tant pis, j’y vais !

Lise et Françoise demeurèrent seules, devant le corps de leur père. Le ruissellement de la pluie continuait, de petits souffles mouillés rasaient le sol, faisaient couler les chandelles. Il aurait fallu fermer la porte, mais ni l’une ni l’autre n’y pensaient, prises elles aussi et secouées par le drame du dehors, malgré le deuil de la maison. Ça ne suffisait donc pas, d’avoir la mort chez soi ? Le bon Dieu cassait tout, on ne savait seulement point s’il vous restait un morceau de pain à manger.

— Pauvre père, murmura Françoise, se serait-il fait du mauvais sang !… Vaut mieux qu’il ne voie pas ça.

Et, comme sa sœur prenait la seconde lanterne :

— Où vas-tu ?

— Je songe aux pois et aux haricots… Je reviens tout de suite.

Sous l’averse, Lise traversa la cour, passa dans le potager. Il n’y avait plus que Françoise près du vieux. Encore se tenait-elle sur le seuil, très émotionnée par le va-et-vient de la lanterne. Elle crut entendre des plaintes, des larmes. Son cœur se brisait.

— Hein ? quoi ? cria-t-elle. Qu’est-ce qu’il y a ?

Aucune voix ne répondait, la lanterne allait et venait plus vite, comme affolée.