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LES ROUGON-MACQUART.

ceau de pain et de fromage, tandis que sa femme, assise, inoccupée, le regardait.

— Bien le bonjour, ma tante… Et ça va comme vous voulez ?

— Mais oui, répondit la vieille dont le visage s’éclaira, heureuse de cette visite. Maintenant qu’on est des bourgeois, on n’a qu’à prendre du bon temps, du matin au soir.

Lise voulut aussi être aimable pour son oncle.

— Et l’appétit marche, à ce que je vois ?

— Oh ! dit-il, ce n’est pas que j’aie faim… Seulement, de manger un morceau ça occupe toujours, ça fait couler la journée.

Il avait un air si morne, que Rose repartit en exclamations sur leur bonheur de ne plus travailler. Vrai ! ils avaient bien gagné ça, ce n’était pas trop tôt, de voir trimer les autres, en jouissant de ses rentes. Se lever tard, tourner ses pouces, se moquer du chaud et du froid, n’avoir pas un souci, ah ! ça les changeait rudement, ils étaient dans le paradis, pour sûr. Lui-même, réveillé, s’excitait comme elle, renchérissait. Et, sous cette joie forcée, sous la fièvre de ce qu’ils disaient, on sentait l’ennui profond, le supplice de l’oisiveté torturant ces deux vieux, depuis que leurs bras, tout d’un coup inertes, se détraquaient dans le repos, pareils à d’antiques machines jetées aux ferrailles.

Enfin, Lise risqua le motif de sa visite.

— Mon oncle, on m’a conté que, l’autre jour, vous aviez rencontré Buteau…

— Buteau est un jean-foutre ! cria Fouan, subitement furieux, et sans lui donner le temps d’achever. Est-ce que, s’il ne s’obstinait pas, comme un âne rouge, j’aurais eu cette histoire avec Fanny ?

C’était le premier froissement entre lui et ses enfants, qu’il cachait, et dont l’amertume venait de lui échapper. En confiant la part de Buteau à Delhomme, il avait prétendu la louer quatre-vingts francs l’hectare, tandis que Delhomme entendait servir simplement une pension double, deux cents francs pour sa part, et deux cents pour