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Page:Emile Zola - La Terre.djvu/21

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LA TERRE.

Un nouveau silence régna, très long. Le notaire achevait de se couper les ongles. Il finit par remettre le canif sur son bureau, en disant :

— Oui, ce sont des raisons raisonnables, on est souvent forcé de se résoudre à la donation… Je dois ajouter qu’elle offre une économie aux familles, car les droits d’héritage sont plus forts que ceux de la démission de biens…

Buteau, dans son affectation d’indifférence, ne put retenir ce cri :

— Alors, c’est vrai, monsieur Baillehache ?

— Mais sans doute. Vous allez y gagner quelques centaines de francs.

Les autres s’agitèrent, le visage de Delhomme lui-même s’éclaira, tandis que le père et la mère partageaient aussi cette satisfaction. C’était entendu, l’affaire était faite, du moment que ça coûtait moins.

— Il me reste à vous présenter les observations d’usage, ajouta le notaire. Beaucoup de bons esprits blâment la démission de biens, qu’ils regardent comme immorale, car ils l’accusent de détruire les liens de famille… On pourrait en effet citer des faits déplorables, les enfants se conduisent des fois très mal, lorsque les parents se sont dépouillés…

Les deux fils et la fille l’écoutaient, la bouche ouverte, avec des battements de paupières et un frémissement des joues.

— Que papa garde tout, s’il a ces idées ! interrompit sèchement Fanny, très susceptible.

— Nous avons toujours été dans le devoir, dit Buteau.

— Et ce n’est pas le travail qui nous fait peur, déclara Jésus-Christ.

D’un geste, M. Baillehache les calma.

— Laissez-moi donc finir ! Je sais que vous êtes de bons enfants, des travailleurs honnêtes ; et, avec vous, il n’y a certainement pas de danger que vos parents se repentent un jour.

Il n’y mettait aucune ironie, il répétait la phrase amicale, que vingt-cinq ans d’habitude professionnelle arron-