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LES ROUGON-MACQUART.

manqué, ce jour-là, d’aller en besogne sur le coteau de l’Aigre. Mais ce qui achevait d’émotionner le village, c’était que la veille, à la nuit tombée, le curé, un curé dont la commune se donnait enfin le luxe, était débarqué devant l’église. Il faisait déjà si sombre, qu’on l’avait mal vu. Aussi les langues ne tarissaient-elles pas, d’autant plus que l’histoire en valait sûrement la peine.

Après sa brouille avec Rognes, pendant des mois, l’abbé Godard s’était obstiné à ne pas y remettre les pieds. Il baptisait, confessait, mariait ceux qui venaient le trouver à Bazoches-le-Doyen ; quant aux morts, ils auraient sans doute séché à l’attendre ; mais le point resta obscur, personne ne s’étant avisé de mourir, pendant cette grande querelle. Il avait déclaré à monseigneur qu’il aimait mieux se faire casser que de rapporter le bon Dieu dans un pays d’abomination, où on le recevait si mal, tous paillards et ivrognes, tous damnés, depuis qu’ils ne croyaient plus au diable ; et monseigneur le soutenait évidemment, laissait aller les choses, en attendant la contrition de ce troupeau rebelle. Donc, Rognes était sans prêtre : plus de messe, plus rien, l’état sauvage. D’abord, il y avait eu un peu de surprise ; mais, au fond, ma foi ! ça ne marchait pas plus mal qu’auparavant. On s’accoutumait, il ne pleuvait ni ne ventait davantage, sans compter que la commune y économisait gros. Alors, puisqu’un prêtre n’était point indispensable, puisque l’expérience prouvait que les récoltes n’y perdaient rien et qu’on n’en mourait pas plus vite, autant valait-il s’en passer toujours. Beaucoup se montraient de cet avis, non seulement les mauvaises têtes comme Lengaigne, mais encore des hommes de bon sens, qui savaient calculer, Delhomme par exemple. Seulement, beaucoup aussi se vexaient de n’avoir pas de curé. Ce n’était point qu’ils fussent plus religieux que les autres : un Dieu de rigolade qui avait cessé de les faire trembler, ils s’en fichaient ! Mais pas de curé, ça semblait dire qu’on était trop pauvre ou trop avare pour s’en payer un ; enfin, on avait l’air au-dessous de tout, des riens de rien qui n’auraient pas dépensé dix sous à de l’inutile. Ceux de