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LES ROUGON-MACQUART.

pu s’installer la veille dans la petite maison, badigeonnée à neuf.

Dès l’aube, les voitures partirent pour la côte, chargées chacune de quatre ou cinq grands tonneaux défoncés d’un bout, les gueulebées, comme on les nomme. Il y avait des femmes et des filles, assises dedans, avec leurs paniers ; tandis que les hommes allaient à pied, fouettant les bêtes. Toute une file se suivait, et l’on causait, de voiture à voiture, au milieu de cris et de rires.

Celle des Lengaigne, précisément, venait après celle des Macqueron, de sorte que Flore et Cœlina, qui ne se parlaient plus depuis six mois, se remirent, grâce à la circonstance. La première avait avec elle la Bécu, l’autre, sa fille Berthe. Tout de suite, la conversation était tombée sur le curé. Les phrases, scandées par le pas des chevaux, partaient à la volée dans l’air frais du matin.

— Moi, je l’ai vu qui aidait à descendre sa malle.

— Ah !… Comment est-il ?

— Dame ! il faisait noir… Il m’a paru tout long, tout mince, avec une figure de carême qui n’en finit plus, et pas fort… Peut-être trente ans. L’air bien doux.

— Et, à ce qu’on dit, il sort de chez les Auvergnats, dans les montagnes où l’on est sous la neige, pendant les deux tiers de l’an.

— Misère ! c’est ça qu’il va se trouver à l’aise chez nous, alors !

— Pour sûr !… Et tu sais qu’il s’appelle Madeleine.

— Non, Madeline.

— Madeline, Madeleine, ce n’est toujours pas un nom d’homme.

— Peut-être bien qu’il viendra nous faire visite, dans les vignes. Macqueron a promis qu’il l’amènerait.

— Ah ! bon sang ! faut le guetter !

Les voitures s’arrêtaient au bas de la côte, le long du chemin qui suivait l’Aigre. Et, dans chaque petit vignoble, entre les rangées d’échalas, les femmes étaient à l’œuvre, marchant pliées en deux, les fesses hautes, coupant à la serpe les grappes dont s’emplissaient leurs paniers. Quant