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LA TERRE.

aux hommes, ils avaient assez à faire, de vider les paniers dans les hottes et de descendre vider les hottes dans les gueulebées. Dès que toutes les gueulebées d’une voiture étaient pleines, elles partaient se décharger dans la cuve, puis revenaient à la charge.

La rosée était si forte, ce matin-là, que tout de suite les robes furent trempées. Heureusement, il faisait un temps superbe, le soleil les sécha. Depuis trois semaines, il n’avait pas plu ; le raisin dont on désespérait, à cause de l’été humide, venait de mûrir et de se sucrer brusquement ; et c’était pourquoi ce beau soleil, si chaud pour la saison, les égayait tous, ricanant, gueulant, lâchant des saletés, qui faisaient se tordre les filles.

— Cette Cœlina ! dit Flore à la Bécu, en se mettant debout et en regardant la Macqueron, dans le plant voisin, elle qui était si fière de sa Berthe, à cause de son teint de demoiselle !… V’là la petite qui jaunit et qui se dessèche bigrement.

— Dame ! déclara la Bécu, quand on ne marie point les filles ! Ils ont bien tort de ne pas la donner au fils du charron… Et, d’ailleurs, à ce qu’on raconte, celle-là se tue le tempérament, avec ses mauvaises habitudes.

Elle se remit à couper les grappes, les reins cassés. Puis, dodelinant du derrière :

— Ça n’empêche pas que le maître d’école continue de tourner autour.

— Pardi ! s’écria Flore, ce Lequeu, il ramasserait des sous avec son nez dans la crotte… Juste ! Le voilà qui arrive les aider. Un joli merle !

Mais elles se turent. Victor, revenu du service depuis quinze jours à peine, prenait leurs paniers et les vidait dans la hotte de Delphin, que cette grande couleuvre de Lengaigne avait loué pour la vendange, en prétextant la nécessité de sa présence à la boutique. Et Delphin, qui n’avait jamais quitté Rognes, attaché à la terre comme un jeune chêne, bâillait de surprise devant Victor, crâne et blagueur, ravi de l’étonner, si changé, que personne ne le reconnaissait, avec ses moustaches et sa barbiche, son air