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LES ROUGON-MACQUART.

qu’il aiguisait, s’était précipité pour mettre la paix d’une paire de gifles et les raccommoder une fois encore. Mais il arriva trop tard, il ne put, dans son exaspération, qu’allonger un coup de poing à sa femme, dont le nez ruissela. Nom de Dieu de femelles ! ce qu’il redoutait, ce qu’il empêchait depuis si longtemps ! la petite envolée, le commencement d’un tas de sales histoires ! Et il voyait tout fuir, tout galoper devant lui, la fille, la terre.

— J’irai tantôt chez Macqueron, gueula-t-il. Faudra bien qu’elle rentre, quand je devrais la ramener à coups de pied au cul !

Chez Macqueron, ce dimanche-là, on était en l’air, car on y attendait un des candidats, M. Rochefontaine, le maître des Ateliers de construction de Châteaudun. Pendant la dernière législature, M. de Chédeville avait déplu, les uns disaient en affichant des amitiés orléanistes, les autres, en scandalisant les Tuileries par une histoire gaillarde, la jeune femme d’un huissier de la Chambre, folle de lui, malgré son âge. Quoi qu’il en fût, la protection du préfet s’était retirée du député sortant, pour se porter sur M. Rochefontaine, l’ancien candidat de l’opposition, dont un ministre venait de visiter les Ateliers, et qui avait écrit une brochure sur le libre échange, très remarquée de l’empereur. Irrité de cet abandon, M. de Chédeville maintenait sa candidature, ayant besoin de son mandat de député pour brasser des affaires, ne se suffisant plus avec les fermages de la Chamade, hypothéquée, à moitié détruite. De sorte que, par une aventure singulière, la situation s’était retournée, le grand propriétaire devenait le candidat indépendant, tandis que le grand usinier se trouvait être le candidat officiel.

Hourdequin, bien que maire de Rognes, demeurait fidèle à M. de Chédeville ; et il avait résolu de ne tenir aucun compte des ordres de l’administration, prêt à batailler même ouvertement, si on le poussait à bout. D’abord, il jugeait honnête de ne pas tourner comme une girouette, au moindre souffle du préfet ; ensuite, entre le protectionniste et le libre échangiste, il finissait par croire