Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Terre.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
LES ROUGON-MACQUART.

Puis, apercevant la Coliche, dans le champ :

— Eh ! ta vache fait du dégât. Si on la voyait… Attends, bougresse, je vas te régaler !

— Non, laissez, dit Françoise, qui l’arrêta. C’est à nous, cette pièce. La garce, c’est chez nous qu’elle m’a culbutée !… Tout le bord est à la famille, jusqu’à Rognes. Nous autres, nous allons d’ici là-bas ; puis, à côté, c’est à mon oncle Fouan ; puis, après, c’est à ma tante, la Grande.

En désignant les parcelles du geste, elle avait ramené la vache dans le sentier. Et ce fut seulement alors, quand elle la tint de nouveau par la corde, qu’elle songea à remercier le jeune homme.

— N’empêche que je vous dois une fameuse chandelle ! Vous savez, merci, merci bien de tout mon cœur !

Ils s’étaient mis à marcher, ils suivaient le chemin étroit qui longeait le vallon, avant de s’enfoncer dans les terres. La dernière sonnerie de l’angelus venait de s’envoler, les corbeaux seuls croassaient toujours. Et, derrière la vache tirant sur la corde, ni l’un ni l’autre ne causaient plus, retombés dans ce silence des paysans qui font des lieues côte à côte, sans échanger un mot. À leur droite, ils eurent un regard pour un semoir mécanique, dont les chevaux tournèrent près d’eux ; le charretier leur cria : « Bonjour ! » et ils répondirent : « Bonjour ! » du même ton grave. En bas, à leur gauche, le long de la route de Cloyes, des carrioles continuaient de filer, le marché n’ouvrant qu’à une heure. Elles étaient secouées durement sur leurs deux roues, pareilles à des insectes sauteurs, si rapetissées au loin, qu’on distinguait l’unique point blanc du bonnet des femmes.

— Voilà mon oncle Fouan avec ma tante Rose, là-bas, qui s’en vont chez le notaire, dit Françoise, les yeux sur une voiture grande comme une coque de noix, fuyant à plus de deux kilomètres.

Elle avait ce coup d’œil de matelot, cette vue longue des gens de plaine, exercée aux détails, capable de reconnaître un homme ou une bête, dans la petite tache remuante de leur silhouette.