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LA TERRE.

rade qui m’a amené par ici… Alors, voilà, mon ancien métier de menuisier ne m’allait plus, des histoires m’ont fait rester à la ferme.

— Ah ! dit-elle simplement, sans le quitter de ses grands yeux noirs.

Mais, à ce moment, la Coliche prolongea son meuglement désespéré de désir ; et un souffle rauque vint de la vacherie, dont la porte était fermée.

— Tiens ! cria Jean, ce bougre de César l’a entendue !… Écoute, il cause là dedans… Oh ! il connaît son affaire, on ne peut en faire entrer une dans la cour, sans qu’il la sente et qu’il sache ce qu’on lui veut…

Puis, s’interrompant :

— Dis donc, le vacher a dû rester avec monsieur Hourdequin… Si tu voulais, je t’amènerais le taureau. Nous ferions bien ça, à nous deux.

— Oui, c’est une idée, dit Françoise, qui se leva.

Il ouvrait la porte de la vacherie, lorsqu’il demanda encore :

— Et ta bête, faut-il l’attacher ?

— L’attacher, non, non ! pas la peine !… Elle est bien prête, elle ne bougera seulement point.

La porte ouverte, on aperçut, sur deux rangs, aux deux côtés de l’allée centrale, les trente vaches de la ferme, les unes couchées dans la litière, les autres broyant les betteraves de leur auge ; et, de l’angle où il se trouvait, l’un des taureaux, un hollandais noir taché de blanc, allongeait la tête, dans l’attente de sa besogne.

Dès qu’il fut détaché, César, lentement, sortit. Mais tout de suite il s’arrêta, comme surpris par le grand air et le grand jour ; et il resta une minute immobile, raidi sur les pieds, la queue nerveusement balancée, le cou enflé, le mufle tendu et flairant. La Coliche, sans bouger, tournait vers lui ses gros yeux fixes, en meuglant plus bas. Alors, il s’avança, se colla contre elle, posa la tête sur la croupe, d’une courte et rude pression ; sa langue pendait, il écarta la queue, lécha jusqu’aux cuisses ; tandis que, le laissant faire, elle ne remuait toujours pas, la