Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/102

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être son rêve, le plan qu’elle roulait, pendant ses longs silences, les yeux luisants, les mains fiévreuses : avoir la clef, ouvrir, tout prendre, tout détruire, dans un autodafé qui serait agréable à Dieu. Les quelques pages d’un manuscrit, oubliées par lui sur un coin de table, le temps d’aller se laver les mains et passer sa redingote, avaient disparu, ne laissant, au fond de la cheminée, qu’une pincée de cendre. Un soir qu’il s’était attardé près d’un malade, comme il revenait au crépuscule, une terreur folle l’avait pris, dès le faubourg, à la vue d’une grosse fumée noire qui montait en tourbillons, salissant le ciel pâle. N’était-ce pas la Souleiade entière qui flambait, allumée par le feu de joie de ses papiers ? Il rentra au pas de course, il ne se rassura qu’en apercevant, dans un champ voisin, un feu de racines qui fumait avec lenteur.

Et quelle affreuse souffrance, ce tourment du savant qui se sent menacé de la sorte dans son intelligence, dans ses travaux ! Les découvertes qu’il a faites, les manuscrits qu’il compte laisser, c’est son orgueil, ce sont des êtres, du sang à lui, des enfants, et en les détruisant, en les brûlant, on brûlerait de sa chair. Surtout, dans ce perpétuel guet-apens contre sa pensée, il était torturé par l’idée que, cette ennemie qui était chez lui, installée jusqu’au cœur, il ne pouvait l’en chasser, et qu’il l’aimait quand même. Il demeurait désarmé, sans défense possible, ne voulant point agir, n’ayant d’autre ressource que de veiller avec vigilance. De toute part, l’enveloppement se resserrait, il croyait sentir les petites mains voleuses qui se glissaient au fond de ses poches, il n’avait plus de tranquillité, même les portes closes, craignant qu’on ne le dévalisât par les fentes.

— Mais, malheureuse enfant, cria-t-il un jour, je n’aime que toi au monde, et c’est toi qui me tues !… Tu m’aimes aussi pourtant, tu fais tout cela parce que tu