les touchaient de si près ? La vie était telle, et il fallait la vivre. Sans doute, elle en sortirait trempée, pleine de tolérance et de courage.
— On te pousse contre moi, reprit-il, on te fait faire des abominations, et c’est ta conscience que je veux te rendre. Quand tu sauras, tu jugeras et tu agiras… Approche-toi, lis avec moi.
Elle obéit. Ces dossiers pourtant, dont sa grand’mère parlait avec tant de colère, l’effrayaient un peu ; tandis qu’une curiosité s’éveillait, grandissait en elle. D’ailleurs, si domptée qu’elle fût par l’autorité virile qui venait de l’étreindre et de la briser, elle se réservait. Ne pouvait-elle donc l’écouter, lire avec lui ? Ne gardait-elle pas le droit de se refuser ou de se donner ensuite ? Elle attendait.
— Voyons, veux-tu ?
— Oui, maître, je veux !
D’abord, ce fut l’Arbre généalogique des Rougon-Macquart qu’il lui montra. Il ne le serrait pas d’ordinaire dans l’armoire, il le gardait dans le secrétaire de sa chambre, où il l’avait pris, en allant chercher les candélabres. Depuis plus de vingt années, il le tenait au courant, inscrivant les naissances et les morts, les mariages, les faits de famille importants, distribuant en notes brèves les cas, d’après sa théorie de l’hérédité. C’était une grande feuille de papier jaunie, aux plis coupés par l’usure, sur laquelle s’élevait, dessiné d’un trait fort, un arbre symbolique, dont les branches étalées, subdivisées, alignaient cinq rangées de larges feuilles ; et chaque feuille portait un nom, contenait, d’une écriture fine, une biographie, un cas héréditaire.
Une joie de savant s’était emparée du docteur, devant cette œuvre de vingt années, où se trouvaient appliquées, si nettement et si complètement, les lois de l’hérédité, fixées par lui.