Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/114

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existence n’est plus possible, tu vis et tu me fais vivre dans un cauchemar, avec l’envolée de ton rêve. J’aime mieux que la réalité, si exécrable qu’elle soit, s’étale devant nous. Peut-être le coup qu’elle va te porter, fera-t-il de toi la femme que tu dois être… Nous allons reclasser ensemble ces dossiers, et les feuilleter, et les lire, une terrible leçon de vie !

Puis, comme elle ne bougeait toujours pas :

— Il faut voir clair, allume les deux autres bougies qui sont là.

Un besoin de grande clarté l’avait pris, il aurait voulu l’aveuglante lumière du soleil ; et il jugea encore que les trois bougies n’éclairaient point, il passa dans sa chambre prendre les candélabres à deux branches qui s’y trouvaient. Les sept bougies flambèrent. Tous deux, en leur désordre, lui la poitrine découverte, elle l’épaule gauche tachée de sang, la gorge et les bras nus, ne se voyaient même pas. Deux heures venaient de sonner, et ni l’un ni l’autre n’avait conscience de l’heure : ils allaient passer la nuit dans cette passion de savoir, sans besoin de sommeil, en dehors du temps et des lieux. L’orage, qui continuait à l’horizon de la fenêtre ouverte, grondait plus haut.

Jamais Clotilde n’avait vu à Pascal ces yeux d’ardente fièvre. Il se surmenait depuis quelques semaines, ses angoisses morales le rendaient brusque parfois, malgré sa bonté si conciliante. Mais il semblait qu’une infinie tendresse, toute frémissante de pitié fraternelle, se faisait en lui, au moment de descendre dans les douloureuses vérités de l’existence ; et c’était quelque chose de très indulgent et de très grand, émané de sa personne, qui allait innocenter, devant la jeune fille, l’effrayante débâcle des faits. Il en avait la volonté, il dirait tout, puisqu’il faut tout dire pour tout guérir. N’était-ce pas l’évolution fatale, l’argument suprême, que l’histoire des êtres qui