Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/126

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toute cette salissure humaine sur la terre grande, qui seule demeure l’immortelle, la mère d’où l’on sort et où l’on retourne, elle qu’on aime jusqu’au crime, qui refait continuellement de la vie pour son but ignoré, même avec la misère et l’abomination des êtres. Et c’était Jean encore qui, devenu veuf et s’étant réengagé aux premiers bruits de guerre, apportait l’inépuisable réserve, le fonds d’éternel rajeunissement que la terre garde, Jean le plus humble, le plus ferme soldat de la suprême débâcle, roulé dans l’effroyable et fatale tempête qui, de la frontière à Sedan, en balayant l’empire, menaçait d’emporter la patrie, toujours sage, avisé, solide en son espoir, aimant d’une tendresse fraternelle son camarade Maurice, le fils détraqué de la bourgeoisie, l’holocauste destiné à l’expiation, pleurant des larmes de sang lorsque l’inexorable destin le choisissait lui-même pour abattre ce membre gâté, puis après la fin de tout, les continuelles défaites, l’affreuse guerre civile, les provinces perdues, les milliards à payer, se remettant en marche, retournant à la terre qui l’attendait, à la grande et rude besogne de toute une France à refaire.

Pascal s’arrêta, Clotilde lui avait passé tous les dossiers, un à un, et il les avait tous feuilletés, dépouillés, reclassés et remis sur la planche du haut, dans l’armoire. Il était hors d’haleine, épuisé d’un tel souffle démesuré, à travers cette humanité vivante ; tandis que, sans voix, sans geste, la jeune fille, dans l’étourdissement de ce torrent de vie débordé, attendait toujours, incapable d’une réflexion et d’un jugement. L’orage continuait à battre la campagne noire du roulement sans fin de sa pluie diluvienne. Un coup de tonnerre venait de foudroyer quelque arbre du voisinage, avec un horrible craquement. Les bougies s’effarèrent, sous le vent de la fenêtre grande ouverte.