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Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/133

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notre existence. J’ai connu des chats dont la présence était le charme mystérieux de la maison, des chiens qu’on adorait, dont la mort était pleurée et qui laissait au cœur un deuil inconsolable. J’ai connu des chèvres, des vaches, des ânes, d’une importance extrême, dont la personnalité a joué un rôle tel, qu’on en devrait écrire l’histoire… Et, tiens ! notre Bonhomme à nous, notre pauvre vieux cheval, qui nous a servi pendant un quart de siècle, est-ce que tu ne crois pas qu’il a mêlé de son sang au nôtre, et que désormais il est de la famille ? Nous l’avons modifié comme lui-même a un peu agi sur nous, nous finissons par être faits sur la même image ; et cela est si vrai, que, lorsque, maintenant, je le vois à demi aveugle, l’œil vague, les jambes perclues de rhumatismes, je l’embrasse sur les deux joues, ainsi qu’un vieux parent pauvre, tombé à ma charge… Ah ! l’animalité, tout ce qui se traîne et tout ce qui se lamente au-dessous de l’homme, quelle place d’une sympathie immense il faudrait lui faire, dans une histoire de la vie !

Ce fut un dernier cri, où Pascal jeta l’exaltation de sa tendresse pour l’être. Il était peu à peu excité, il en arrivait à la confession de sa foi, au labeur continu et victorieux de la nature vivante. Et Clotilde, qui jusque-là n’avait point parlé, toute blanche dans la catastrophe de tant de faits qui tombaient sur elle, desserra enfin les lèvres, pour demander :

— Eh bien ! maître, et moi là-dedans ?

Elle avait posé un de ses doigts minces sur la feuille de l’Arbre, où elle voyait son nom inscrit. Lui, toujours, avait passé cette feuille. Et elle insista.

— Oui, moi, que suis-je donc ?… Pourquoi ne m’as-tu pas lu mon dossier ?

Un instant, il resta muet, comme surpris de la question.