Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/201

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de Clotilde surtout, elle changeait, la traitait en jeune dame, en maîtresse moins aimée et plus obéie. Quand elle entrait dans la chambre à coucher, quand elle les servait au lit tous les deux, son visage gardait son air de soumission résignée, toujours en adoration devant son maître, indifférente au reste. À deux ou trois reprises pourtant, le matin, elle parut le visage ravagé, les yeux perdus de larmes, sans vouloir répondre directement aux questions, disant que ce n’était rien, qu’elle avait pris un coup d’air. Et jamais elle ne faisait une réflexion sur les cadeaux dont les tiroirs s’emplissaient, elle ne semblait même pas les voir, les essuyait, les rangeait, sans un mot d’admiration ni de blâme. Seulement, toute sa personne se révoltait contre cette folie du don, qui ne pouvait sûrement lui entrer dans la cervelle. Elle protestait à sa manière en outrant son économie, réduisant les dépenses du ménage, le conduisant d’une si stricte façon, qu’elle trouvait le moyen de rogner sur les petits frais infimes. Ainsi, elle supprima un tiers du lait, elle ne mit plus d’entremets sucré que le dimanche. Pascal et Clotilde, sans oser se plaindre, riaient entre eux de cette grosse avarice, recommençaient les plaisanteries qui les amusaient depuis dix ans, en se racontant que, lorsqu’elle beurrait des légumes, elle les faisait sauter dans la passoire, pour ravoir le beurre par-dessous.

Mais, ce trimestre-là, elle voulut rendre des comptes. D’habitude, elle allait toucher elle-même, tous les trois mois, chez le notaire, maître Grandguillot, les quinze cents francs de rente, dont elle disposait ensuite à sa guise, marquant les dépenses sur un livre, que le docteur avait cessé de vérifier, depuis des années. Elle l’apporta, elle exigea qu’il y jetât un coup d’œil. Il s’en défendait, trouvait tout très bien.

— C’est que, monsieur, dit-elle, j’ai pu mettre,