Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/212

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Cependant, Pascal et Clotilde élargissaient encore leur domaine, allongeaient chaque jour leurs promenades, les poussaient à présent en dehors de la ville, dans la campagne vaste. Et, une après-midi qu’ils se rendaient à la Séguiranne, ils éprouvèrent une émotion, en longeant les terres défrichées et mornes, où s’étendaient autrefois les jardins enchantés du Paradou. La vision d’Albine s’était dressée, Pascal l’avait revue fleurir comme un printemps. Jamais, autrefois, lui qui se croyait déjà très vieux et qui entrait là pour sourire à cette petite fille, il n’aurait cru qu’elle serait morte depuis des années, lorsque la vie lui ferait le cadeau d’un printemps pareil, embaumant son déclin. Clotilde, ayant senti la vision passer entre eux, haussait vers lui son visage, en un besoin renaissant de tendresse. Elle était Albine, l’éternelle amoureuse. Il la baisa sur les lèvres ; et, sans qu’ils eussent échangé une parole, un grand frisson traversa les terres plates, ensemencées de blé et d’avoine, où le Paradou avait roulé sa houle de prodigieuses verdures.

Maintenant, par la plaine desséchée et nue, Pascal et Clotilde marchaient dans la poussière craquante des routes. Ils aimaient cette nature ardente, ces champs plantés d’amandiers grêles et d’oliviers nains, ces horizons de coteaux pelés, où blanchissaient les taches pâles des bastides, qu’accentuaient les barres noires des cyprès centenaires. C’étaient comme des paysages anciens, de ces paysages classiques, tels qu’on en voit dans les tableaux des vieilles écoles, aux colorations dures, aux lignes balancées et majestueuses. Tous les grands soleils amassés, qui semblaient avoir cuit cette campagne, leur coulaient dans les veines ; et ils en étaient plus vivants et plus beaux, sous le ciel toujours bleu, d’où tombait la claire flamme d’une perpétuelle passion. Elle, abritée un peu par son ombrelle, s’épanouissait, heureuse de ce