Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/216

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passion, c’est le travail qui m’a dévoré jusqu’ici, c’est en voulant me prouver la possibilité de refaire l’humanité vieillie, vigoureuse enfin et intelligente, que j’ai failli mourir, dernièrement… Oui, un rêve, un beau rêve !

De ses deux bras souples, elle l’étreignit à son tour, mêlée à lui, entrée dans son corps.

— Non, non ! une réalité, la réalité de ton génie, maître !

Alors, comme ils étaient ainsi confondus, il baissa encore la voix, ses paroles ne furent plus qu’un aveu, à peine un léger souffle.

— Écoute, je vais te dire ce que je ne dirais à personne au monde, ce que je ne me dis pas tout haut à moi-même… Corriger la nature, intervenir, la modifier et la contrarier dans son but, est-ce une besogne louable ? Guérir, retarder la mort de l’être pour son agrément personnel, le prolonger pour le dommage de l’espèce sans doute, n’est-ce pas défaire ce que veut faire la nature ? Et rêver une humanité plus saine, plus forte, modelée sur notre idée de la santé et de la force, en avons-nous le droit ? Qu’allons-nous faire là, de quoi allons-nous nous mêler dans ce labeur de la vie, dont les moyens et le but nous sont inconnus ? Peut-être tout est-il bien. Peut-être risquons-nous de tuer l’amour, le génie, la vie elle-même… Tu entends, je le confesse à toi seule, le doute m’a pris, je tremble à la pensée de mon alchimie du vingtième siècle, je finis par croire qu’il est plus grand et plus sain de laisser l’évolution s’accomplir.

Il s’interrompit, il ajouta si doucement, qu’elle l’entendait à peine.

— Tu sais que, maintenant, je les pique avec de l’eau. Toi-même en as fait la remarque, tu ne m’entends plus piler ; et je te disais que j’avais de la liqueur en réserve… L’eau les soulage, il y a là sans doute un simple effet mécanique. Ah ! soulager, empêcher la souffrance,