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Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/25

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sombres de pins : large amphithéâtre désolé, mangé de soleil, d’un ton de vieille brique cuite, déroulant en haut, sur le ciel, cette frange de verdure noire. À gauche, s’ouvraient les gorges de la Seille, des amas de pierres jaunes, écroulées au milieu de terres couleur de sang, dominées par une immense barre de rochers, pareille à un mur de forteresse géante ; tandis que, vers la droite, à l’entrée même de la vallée où coulait la Viorne, la ville de Plassans étageait ses toitures de tuiles décolorées et roses, son fouillis ramassé de vieille cité, que perçaient des cimes d’ormes antiques, et sur laquelle régnait la haute tour de Saint-Saturnin, solitaire et sereine, à cette heure, dans l’or limpide du couchant.

— Ah ! mon Dieu ! dit lentement Clotilde, faut-il être orgueilleux, pour croire qu’on va tout prendre dans sa main et tout connaître !

Pascal venait de monter sur la chaise, afin de s’assurer que pas un des dossiers ne manquait. Ensuite, il ramassa le fragment de marbre, le replaça sur la planche ; et, quand il eut refermé l’armoire, d’une main énergique, il mit la clef au fond de sa poche.

— Oui, reprit-il, tâcher de tout connaître, et surtout ne pas perdre la tête avec ce qu’on ne connaît pas, ce qu’on ne connaîtra sans doute jamais !

Martine, de nouveau, s’était rapprochée de Clotilde, pour la soutenir, pour montrer que toutes deux faisaient cause commune. Et, maintenant, le docteur l’apercevait, elle aussi, les sentait l’une et l’autre unies dans la même volonté de conquête. Après des années de sourdes tentatives, c’était enfin la guerre ouverte, le savant qui voit les siens se tourner contre sa pensée et la menacer de destruction. Il n’est point de pire tourment, avoir la trahison chez soi, autour de soi, être traqué, dépossédé, anéanti, par ceux que vous aimez et qui vous aiment !