Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/263

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— Je n’ai plus d’argent, Monsieur, et demain il n’y aura que des pommes de terre, sans huile ni beurre… Voici trois semaines que vous buvez de l’eau. Maintenant, il faudra se passer de viande.

Ils s’égayèrent, ils plaisantèrent encore.

— Vous avez du sel, ma brave fille ?

— Oh ! ça oui, Monsieur, encore un peu.

— Eh bien ! des pommes de terre avec du sel, c’est très bon quand on a faim.

Elle retourna dans sa cuisine, et tout bas ils reprirent leurs moqueries sur son extraordinaire avarice. Jamais elle n’aurait offert de leur avancer dix francs, elle qui avait son petit trésor caché quelque part, dans un endroit solide que personne ne connaissait. D’ailleurs, ils en riaient, sans lui en vouloir, car elle ne devait pas plus songer à cela qu’à décrocher les étoiles, pour les leur servir.

La nuit, pourtant, dès qu’ils se furent couchés, Pascal sentit Clotilde fiévreuse, tourmentée d’insomnie. C’était d’habitude ainsi, aux bras l’un de l’autre, dans les tièdes ténèbres, qu’il la confessait ; et elle osa lui dire son inquiétude pour lui, pour elle, pour la maison entière. Qu’allaient-ils devenir, sans ressources aucunes ? Un instant, elle fut sur le point de lui parler de sa mère. Puis, elle n’osa pas, elle se contenta de lui avouer les démarches qu’elles avaient faites, Martine et elle : l’ancien registre retrouvé, les notes relevées et envoyées, l’argent réclamé partout, inutilement. Dans d’autres circonstances, il aurait eu, à cet aveu, un grand chagrin et une grande colère, blessé de ce qu’on avait agi sans lui, en allant contre l’attitude de toute sa vie professionnelle. Il resta silencieux d’abord, très ému, et cela suffisait à prouver qu’elle était par moments son angoisse secrète, sous cette insouciance de la misère qu’il montrait. Puis, il pardonna