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Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/288

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la nécessité du départ, comprenait que cette nécessité s’imposait davantage chaque jour. Sa volonté était désormais formelle. Il restait seulement aux abois, tremblant, hésitant, devant les moyens de la décider. La scène de désespoir et de larmes s’évoquait : qu’allait-il faire ? qu’allait-il lui dire ? comment en arriveraient-ils, tous les deux, à s’embrasser une dernière fois et à ne plus se voir jamais ? Et les journées se passaient, il ne trouvait rien, il recommençait à se traiter de lâche, chaque soir, lorsque, la bougie éteinte, elle le reprenait entre ses bras frais, heureuse et triomphante de le vaincre ainsi.

Souvent, elle plaisantait, avec une pointe de malice tendre.

— Maître, tu es trop bon, tu me garderas.

Mais cela le fâchait, et il s’agitait, assombri.

— Non, non ! ne parle pas de ma bonté !… Si j’étais vraiment bon, il y a longtemps que tu serais là-bas, dans l’aisance et le respect, avec tout un avenir de vie belle et tranquille devant toi, au lieu de t’obstiner ici, insultée, pauvre et sans espoir, à être la triste compagne d’un vieux fou de mon espèce !… Non ! je ne suis qu’un lâche et qu’un malhonnête homme !

Vivement, elle le faisait taire. Et c’était en réalité sa bonté qui saignait, cette bonté immense qu’il devait à son amour de la vie, qu’il épandait sur les choses et sur les êtres, dans le continuel souci du bonheur de tous. Être bon, n’était-ce pas la vouloir, la faire heureuse, au prix de son bonheur, à lui ? Il lui fallait avoir cette bonté-là, et il sentait bien qu’il l’aurait, décisive, héroïque. Mais, comme les misérables résolus au suicide, il attendait l’occasion, le moment et le moyen de vouloir.

Un matin qu’il s’était levé à sept heures, elle fut toute surprise, en entrant dans la salle, de le trouver assis devant