Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/292

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cette abomination ? Je le vois bien dans tes yeux, que tu me caches quelque chose, que tu as une pensée qui n’est plus à moi… Mais, si je pars et si tu meurs, qui donc sera là pour défendre ton œuvre ?

Il crut qu’elle s’habituait à cette idée du départ, il trouva la force de répondre gaiement :

— Penses-tu donc que je me laisserais mourir sans te revoir ?… Je t’écrirai, que diable ! Ce sera toi qui reviendras me fermer les yeux.

Maintenant, elle sanglotait, tombée sur une chaise.

— Mon Dieu ! est-ce possible ? tu veux que demain nous ne soyons plus ensemble, nous qui ne nous quittons pas d’une minute, qui vivons aux bras l’un de l’autre ! Et, pourtant, si l’enfant était venu…

— Ah ! tu me condamnes ! interrompit-il violemment. Si l’enfant était venu, jamais tu ne serais partie… Ne vois-tu donc pas que je suis trop vieux et que je me méprise ! Avec moi, tu resterais stérile, tu aurais cette douleur de n’être pas toute la femme, la mère ! Va-t’en donc, puisque je ne suis plus un homme !

Vainement, elle s’efforçait de le calmer.

— Non ! je n’ignore pas ce que tu penses, nous l’avons dit vingt fois : si l’enfant n’est pas au bout, l’amour n’est qu’une saleté inutile… Tu as jeté, l’autre soir, ce roman que tu lisais, parce que les héros, stupéfaits d’avoir fait un enfant, sans même s’être doutés qu’ils pouvaient en faire un, ne savaient comment s’en débarrasser… Ah ! moi, que je l’ai attendu, que je l’aurais aimé, un enfant de toi !

Ce jour-là, Pascal parut s’enfoncer plus encore dans le travail. Il avait, à présent, des séances de quatre et cinq heures, des matinées, des après-midi entières, où il ne levait pas la tête. Il outrait son zèle, défendant qu’on le dérangeât, qu’on lui adressât un seul mot. Et parfois,