lorsque Clotilde sortait sur la pointe des pieds, ayant à donner des ordres, en bas, ou à faire une course, il s’assurait d’un coup d’œil furtif qu’elle n’était plus là, puis il laissait tomber sa tête au bord de la table, d’un air d’accablement immense. C’était une détente douloureuse à l’extraordinaire effort qu’il devait s’imposer, quand il la sentait près de lui, pour rester devant sa table, et ne pas la prendre dans ses bras, et ne pas la garder ainsi pendant des heures, à la baiser doucement. Ah ! le travail, quel ardent appel il lui faisait, comme au seul refuge où il espérait s’étourdir, s’anéantir ! Mais, le plus souvent, il ne pouvait travailler, il devait jouer la comédie de l’attention, ses yeux sur la page, ses tristes yeux qui se voilaient de larmes, tandis que sa pensée agonisait, brouillée, fuyante, toujours emplie de la même image. Allait-il donc assister à cette faillite du travail, lui qui le croyait souverain, créateur unique, régulateur du monde ? Fallait-il jeter l’outil, renoncer à l’action, ne faire plus que vivre, aimer les belles filles qui passent ? Ou bien n’était-ce que la faute de sa sénilité, s’il devenait incapable d’écrire une page, comme il était incapable de faire un enfant ? La peur de l’impuissance l’avait toujours tourmenté. Pendant que, la joue contre la table, il restait sans force, accablé de sa misère, il rêvait qu’il avait trente ans, qu’il puisait chaque nuit, au cou de Clotilde, la vigueur de sa besogne du lendemain. Et des pleurs coulaient sur sa barbe blanche ; et, s’il l’entendait remonter, vivement il se redressait, il reprenait sa plume, pour qu’elle le retrouvât, comme elle l’avait laissé, l’air enfoncé dans une méditation profonde, où il n’y avait que de la détresse et que du vide.
On était au milieu de septembre, deux semaines interminables s’étaient écoulées dans ce malaise, sans amener aucune solution, lorsque Clotilde, un matin, eut la grande