Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/322

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coup, sa mère resterait la maîtresse, elle les détruirait ; et ce n’étaient pas seulement les dossiers, mais ses manuscrits, tous ses papiers, trente années de son intelligence et de son travail. Ainsi se consommerait le crime qu’il avait tant redouté, dont la seule crainte, pendant ses nuits de fièvre, le faisait se relever frissonnant, l’oreille aux aguets, écoutant si l’on ne forçait pas l’armoire. Une sueur le reprit, il se vit dépossédé, outragé, les cendres de son œuvre jetées aux quatre vents. Et, tout de suite, il revint à Clotilde, il se dit qu’il suffisait simplement de la rappeler : elle serait là, elle lui fermerait les yeux, elle défendrait sa mémoire. Déjà, il s’était assis, il se hâtait de lui écrire, pour que la lettre partît par le courrier du matin.

Mais, lorsque Pascal fut devant la page blanche, la plume aux doigts, un scrupule grandissant, un mécontentement de lui-même l’envahit. Est-ce que cette pensée des dossiers, le beau projet de leur donner une gardienne et de les sauver, n’était pas une suggestion de sa faiblesse, un prétexte qu’il imaginait pour ravoir Clotilde ? L’égoïsme était au fond. Il songeait à lui, et non à elle. Il la vit rentrer dans cette maison pauvre, condamnée à soigner un vieillard malade ; il la vit surtout, dans la douleur, dans l’épouvante de son agonie, lorsqu’il la terrifierait, un jour, en tombant foudroyé près d’elle. Non, non ! c’était l’affreux moment qu’il voulait lui éviter, c’étaient quelques journées de cruels adieux, et la misère ensuite, triste cadeau qu’il ne pouvait lui faire, sans se croire un criminel. Son calme, son bonheur à elle seule comptait, qu’importait le reste ! Il mourrait dans son trou, heureux de la croire heureuse. Quant à sauver ses manuscrits, il verrait s’il aurait la force de s’en séparer, en les remettant à Ramond. Et, même si tous ses papiers devaient périr, il y consentait, et il voulait bien que rien de lui