Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/321

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Ce fut ce jour-là que Pascal s’intéressa encore à son voisin, M. Bellombre. Il s’était approché d’une fenêtre, il l’aperçut, par-dessus le mur du jardin, au pâle soleil des premiers jours de novembre, faisant sa promenade accoutumée ; et la vue de l’ancien professeur, vivant si parfaitement heureux, le jeta d’abord dans l’étonnement. Il lui semblait n’avoir jamais songé à cette chose, qu’un homme de soixante-dix ans était là, sans une femme, sans un enfant, sans un chien, et qu’il tirait tout son égoïste bonheur de la joie de vivre en dehors de la vie. Ensuite, il se rappela ses colères contre cet homme, ses ironies contre la peur de l’existence, les catastrophes qu’il lui souhaitait, l’espoir que le châtiment viendrait, quelque servante maîtresse, quelque parente inattendue, qui serait la vengeance. Mais non ! il le retrouvait toujours aussi vert, il sentait bien que, longtemps encore, il vieillirait ainsi, dur, avare, inutile et heureux. Et, cependant, il ne l’exécrait plus, il l’aurait plaint volontiers, tellement il le jugeait ridicule et misérable, de n’être pas aimé. Lui qui agonisait, parce qu’il restait seul ! Lui dont le cœur allait éclater, parce qu’il était trop plein des autres ! Plutôt la souffrance, la souffrance seule, que cet égoïsme, cette mort à ce qu’on a de vivant et d’humain en soi !

Dans la nuit qui suivit, Pascal eut une nouvelle crise d’angine de poitrine. Elle dura près de cinq minutes, il crut qu’il étoufferait, sans avoir eu la force d’appeler sa servante. Lorsqu’il reprit haleine, il ne la dérangea pas, il préféra ne parler à personne de cette aggravation de son mal ; mais il garda la certitude qu’il était fini, qu’il ne vivrait pas un mois peut-être. Sa première pensée alla vers Clotilde. Pourquoi ne lui écrivait-il pas d’accourir ? Justement, il avait reçu une lettre d’elle, la veille, et il voulait lui répondre, ce matin-là. Puis, l’idée de ses dossiers lui apparut soudain. S’il mourait tout d’un