Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/330

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ah ! non, ce n’est pas possible ! Le bon Dieu ne peut pas vouloir une injustice pareille, Je l’ai tant prié dans mon existence, qu’il doit m’écouter un peu, et il m’exaucera, monsieur, il vous sauvera !

Pascal la regardait, l’écoutait, et une clarté brusque se faisait en lui. Mais elle l’aimait, cette misérable fille, elle l’avait toujours aimé ! Il se rappelait ses trente années de dévouement aveugle, son adoration muette d’autrefois, quand elle le servait à genoux, et qu’elle était jeune, ses jalousies sourdes contre Clotilde plus tard, tout ce qu’elle avait dû souffrir inconsciemment à cette époque. Et elle était là, à genoux encore aujourd’hui, devant son lit de mort, en cheveux grisonnants, avec ses yeux couleur de cendre, dans sa face blême de nonne abêtie par le célibat. Et il la sentait ignorante de tout, ne sachant même pas de quel amour elle l’avait aimé, n’aimant que lui pour le bonheur de l’aimer, d’être avec lui et de le servir.

Des larmes roulèrent sur les joues de Pascal. Une pitié douloureuse, une tendresse humaine, infinie, débordaient de son pauvre cœur à moitié brisé. Il la tutoya.

— Ma pauvre fille, tu es la meilleure des filles… Tiens ! embrasse-moi comme tu m’aimes, de toute ta force !

Elle sanglotait, elle aussi. Elle laissa tomber, sur la poitrine de son maître, sa tête grise, sa face usée par sa longue domesticité. Éperdument, elle le baisa, mettant dans ce baiser toute sa vie.

— Bon ! ne nous attendrissons pas, parce que, vois-tu, on aura beau faire, ce sera la fin tout de même… Si tu veux que je t’aime bien, tu vas m’obéir.

D’abord, il s’entêta à ne pas rester dans sa chambre. Elle lui semblait glacée, haute, vide, noire. Le désir lui était venu de mourir dans l’autre chambre, celle de Clo-