Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/352

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de ne s’être pas dévouée, coupable et punie à jamais de s’en être allée, quand le simple bon sens, à défaut du cœur, devait la clouer là, dans sa tâche de sujette soumise et tendre, veillant sur son roi.

Le silence devenait tel, si absolu, si large, que Clotilde détacha un instant les yeux du visage de Pascal, pour regarder dans la chambre. Elle n’y vit que des ombres vagues : la lampe éclairait de biais la glace de la grande psyché, pareille à une plaque d’argent mat ; et les deux cierges mettaient seulement, sous le haut plafond, deux taches fauves. À ce moment, la pensée lui revint des lettres qu’il lui écrivait, si courtes, si froides ; et elle comprenait sa torture à étouffer son amour. Quelle force il lui avait fallu, dans l’accomplissement du projet de bonheur, sublime et désastreux, qu’il faisait pour elle ! Il s’entêtait à disparaître, à la sauver de sa vieillesse et de sa pauvreté ; il la rêvait riche, libre de jouir de ses vingt-six ans, loin de lui : c’était l’oubli total de soi, l’anéantissement dans l’amour d’une autre. Et elle en éprouvait une gratitude, une douceur profondes, mêlées à une sorte d’amertume irritée contre le destin mauvais. Puis, tout d’un coup, les années heureuses s’évoquèrent, sa jeunesse, son adolescence près de lui, si bon, si gai. Comme il l’avait conquise d’une lente passion, comme elle s’était sentie sienne, après les révoltes qui les avaient un instant séparés, et dans quel emportement de joie elle s’était donnée à lui, pour être davantage et toute à lui, puisqu’il la désirait ! Cette chambre où il se refroidissait à cette heure, elle la retrouvait tiède encore et frissonnante de leurs nuits de tendresse.

Sept heures sonnèrent à la pendule, et Clotilde tressaillit à ce tintement léger, dans le grand silence. Qui donc avait parlé ? Elle se rappela, elle regarda la pendule, dont le timbre avait sonné tant d’heures de joie. Cette