Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/363

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— Au feu ! au feu !… Nous finirons bien par mettre la main sur les autres, sur ceux que je cherche… Au feu ! au feu ! ceux-ci d’abord ! Jusqu’aux bouts de papier grands comme l’ongle, jusqu’aux notes illisibles, au feu ! au feu ! si nous voulons êtres sûres de tuer la contagion du mal !

Elle-même, fanatique, farouche dans sa haine de la vérité, dans sa passion d’anéantir le témoignage de la science, déchira la première page d’un manuscrit, l’alluma à la lampe, alla jeter ce brandon flambant dans la grande cheminée, où il n’y avait pas eu de feu depuis vingt ans peut-être ; et elle alimenta la flamme, en continuant à jeter, par morceaux, le reste du manuscrit. La servante, résolue, comme elle, était venue l’aider, avait pris un autre gros cahier, qu’elle effeuillait. Dès lors, le feu ne cessa plus, la haute cheminée s’emplit d’un flamboiement, d’une gerbe claire d’incendie, qui, par instants, ne se ralentissait que pour s’élever avec une intensité accrue, quand des aliments nouveaux la rallumaient. Un brasier s’élargissait peu à peu, un tas de cendre fine montait, une couche épaissie de feuilles noires où couraient des millions d’étincelles. Mais c’était une besogne longue, sans fin ; car, lorsqu’on jetait trop de pages à la fois, elles ne brûlaient pas, il fallait les secouer, les retourner avec les pincettes ; et le mieux était de les froisser, d’attendre qu’elles fussent bien enflammées, avant d’en ajouter d’autres. L’habileté leur venait, la besogne marchait grand train.

Dans sa hâte à aller reprendre une nouvelle brassée de papiers, Félicité se heurta contre un fauteuil.

— Oh ! madame, prenez garde, dit Martine. Si l’on venait !

— Venir, qui donc ? Clotilde ? elle dort trop bien, la pauvre fille !… Et puis, si elle vient quand ce sera fini, je m’en moque ! Allez, je ne me cacherai pas, je laisserai