Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/366

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— Voleuses ! assassines !

Tout de suite, elle s’était précipitée vers la cheminée ; et, malgré le ronflement terrible, malgré les morceaux de suie rouge qui tombaient, au risque de s’incendier les cheveux et de se brûler les mains, elle saisit à poignées les feuilles non consumées encore, elle les éteignit vaillamment, en les serrant contre elle. Mais c’était bien peu de chose, à peine des débris, pas une page complète, pas même des miettes du travail colossal, de l’œuvre patiente et énorme de toute une vie, que le feu venait de détruire là en deux heures. Et sa colère grandissait, un élan de furieuse indignation.

— Vous êtes des voleuses, des assassines !… C’est un meurtre abominable que vous venez de commettre ! Vous avez profané la mort, vous avez tué la pensée, tué le génie !

La vieille madame Rougon ne reculait pas. Elle s’était avancée au contraire, sans remords, la tête haute, défendant l’arrêt de destruction rendu par elle et exécuté.

— C’est à moi que tu parles, à ta grand’mère ?… J’ai fait ce que j’ai dû faire, ce que tu voulais faire avec nous autrefois.

— Autrefois, vous m’aviez rendue folle. Mais j’ai vécu, j’ai aimé, j’ai compris… Puis, c’était un héritage sacré, légué à mon courage, la dernière pensée d’un mort, ce qui restait d’un grand cerveau et que je devais imposer à tous… Oui, tu es ma grand’mère ! et c’est comme si tu venais de brûler ton fils !

— Brûler Pascal, parce que j’ai brûlé ses papiers ! cria Félicité. Eh ! j’aurais brûlé la ville, pour sauver la gloire de notre famille !

Elle s’avançait toujours, combattante, victorieuse ; et Clotilde qui avait posé sur la table les fragments noircis, sauvés par elle, les défendait de son corps, dans la crainte