Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/367

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qu’elle ne les rejetât aux flammes. Elle les dédaignait, elle ne s’inquiétait seulement pas du feu de cheminée, qui heureusement s’épuisait de lui-même ; pendant que Martine, avec la pelle, étouffait la suie et les dernières flambées des cendres brûlantes.

— Tu sais bien pourtant, continua la vieille femme dont la petite taille semblait grandir, que je n’ai eu qu’une ambition, qu’une passion, la fortune et la royauté des nôtres. J’ai combattu, j’ai veillé toute ma vie, je n’ai vécu si longtemps que pour écarter les vilaines histoires et laisser de nous une légende glorieuse… Oui, jamais je n’ai désespéré, jamais je n’ai désarmé, prête à profiter des moindres circonstances… Et tout ce que j’ai voulu, je l’ai fait, parce que j’ai su attendre.

D’un geste large, elle montra l’armoire vide, la cheminée où se mouraient des étincelles.

— Maintenant, c’est fini, notre gloire est sauve, ces abominables papiers ne nous accuseront plus, et je ne laisserai derrière moi aucune menace… Les Rougon triomphent.

Éperdue, Clotilde levait le bras, comme pour la chasser. Mais elle sortit d’elle-même, elle descendit à la cuisine laver ses mains noires et rattacher ses cheveux. La servante allait la suivre, lorsque, en se retournant, elle vit le geste de sa jeune maîtresse. Elle revint.

— Oh ! moi, mademoiselle, je partirai après-demain, lorsque monsieur sera au cimetière.

Il y eut un silence.

— Mais je ne vous renvoie pas, Martine, je sais bien que vous n’êtes pas la plus coupable… Voici trente ans que vous vivez dans cette maison. Restez, restez avec moi.

La vieille fille hocha sa tête grise, toute pâle et comme usée.