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Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/373

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Souleiade, que tout le monde lui conseillait de vendre. Sans doute, l’entretien n’en était pas coûteux, mais quelle vie de solitude et de tristesse, dans cette grande maison déserte, beaucoup trop vaste, où elle était comme perdue ! Jusque-là, pourtant, elle n’avait pu se décider à la quitter. Peut-être ne s’y déciderait-elle jamais.

Ah ! cette Souleiade, tout son amour y était, toute sa vie, tous ses souvenirs ! Il lui semblait, par moments, que Pascal y vivait encore, car elle n’y avait rien dérangé de leur existence de jadis. Les meubles étaient aux mêmes places, les heures y sonnaient les mêmes habitudes. Elle n’y avait fermé que sa chambre, à lui, où elle seule entrait, ainsi que dans un sanctuaire, pour pleurer, lorsqu’elle sentait son cœur trop lourd. Dans la chambre où tous deux s’étaient aimés, dans le lit où il était mort, elle se couchait chaque nuit, comme autrefois, lorsqu’elle était jeune fille ; et il n’y avait de plus, là, contre ce lit, que le berceau, qu’elle y apportait le soir. C’était toujours la même chambre douce aux antiques meubles familiers, aux tentures attendries par l’âge, couleur d’aurore, la très vieille chambre que l’enfant rajeunissait de nouveau. Puis, en bas, si elle se trouvait bien seule, bien perdue, à chaque repas, dans la salle à manger claire, elle y entendait les échos des rires, des vigoureux appétits de sa jeunesse, lorsque tous les deux mangeaient et buvaient si gaiement, à la santé de l’existence. Et le jardin aussi, toute la propriété tenait à son être, par les fibres les plus intimes, car elle ne pouvait y faire un pas, sans y évoquer leurs deux images unies l’une à l’autre : sur la terrasse, à l’ombre mince des grands cyprès séculaires, ils avaient si souvent contemplé la vallée de la Viorne, que bornaient les barres rocheuses de la Seille et les coteaux brûlés de Sainte-Marthe ! par les gradins de pierres sèches, au travers des oliviers et des amandiers