l’air sérieux. Le sourd dépit de l’attente venait de la rendre à toute son hostilité, et elle qui avait brûlé de se jeter à son cou, le matin, restait immobile, comme refroidie et écartée de lui.
— Bon ! reprit-il, sans rien perdre de son allégresse, nous boudons encore. C’est ça qui est vilain !… Alors, tu ne l’admires pas, ma liqueur de sorcier, qui réveille les morts ?
Il s’était mis à table, et la jeune fille, en s’asseyant en face de lui, dut enfin répondre.
— Tu sais bien, maître, que j’admire tout de toi… Seulement, mon désir est que les autres aussi t’admirent. Et il y a cette mort du pauvre vieux Boutin…
— Oh ! s’écria-t-il sans la laisser achever, un épileptique qui a succombé dans une crise congestive !… Tiens ! puisque tu es de méchante humeur, ne causons plus de cela : tu me ferais de la peine, et ça gâterait ma journée.
Il y avait des œufs à la coque, des côtelettes, une crème. Et un silence se prolongea, pendant lequel, malgré sa bouderie, elle mangea à belles dents, étant d’un appétit solide, qu’elle n’avait pas la coquetterie de cacher. Aussi finit-il par reprendre en riant :
— Ce qui me rassure, c’est que ton estomac est bon… Martine, donnez donc du pain à mademoiselle.
Comme d’habitude, celle-ci les servait, les regardait manger, avec sa familiarité tranquille. Souvent même, elle causait avec eux.
— Monsieur, dit-elle, quand elle eut coupé du pain, le boucher a apporté sa note, faut-il la payer ?
Il leva la tête, la contempla avec surprise.
— Pourquoi me demandez-vous ça ? D’ordinaire, ne payez-vous pas sans me consulter ?
C’était en effet Martine qui tenait la bourse. Les sommes déposées chez M. Grandguillot, notaire à Plassans,