rayonnant, le visage éclairé par la blancheur de la barbe, d’une vigueur encore qui la lui faisait soulever pour franchir les ruisseaux, on souriait sur leur passage, on se retournait en les suivant du regard, tant ils étaient beaux et joyeux. Ce jour-là, comme ils débouchaient du chemin des Fenouillères, à la porte de Plassans, un groupe de commères s’arrêta net de causer. On aurait dit un de ces anciens rois qu’on voit dans les tableaux, un de ces rois puissants et doux qui ne vieillissent plus, la main posée sur l’épaule d’une enfant belle comme le jour, dont la jeunesse éclatante et soumise les soutient.
Ils tournaient sur le cours Sauvaire, pour gagner la rue de la Banne, lorsqu’un grand garçon brun, d’une trentaine d’années, les arrêta.
— Ah ! maître, vous m’avez oublié. J’attends toujours votre note, sur la phtisie.
C’était le docteur Ramond, installé depuis deux années à Plassans, et qui s’y faisait une belle clientèle. De tête superbe, dans tout l’éclat d’une virilité souriante, il était adoré des femmes, et il avait heureusement beaucoup d’intelligence et beaucoup de sagesse.
— Tiens ! Ramond, bonjour !… Mais pas du tout, cher ami, je ne vous oublie pas. C’est cette petite fille à qui j’ai donné hier la note à copier et qui n’en a encore rien fait.
Les deux jeunes gens s’étaient serré la main, d’un air d’intimité cordiale.
— Bonjour, mademoiselle Clotilde.
— Bonjour, monsieur Ramond.
Pendant une fièvre muqueuse, heureusement bénigne, que la jeune fille avait eue l’année précédente, le docteur Pascal s’était affolé, au point de douter de lui ; et il avait exigé que son jeune confrère l’aidât, le rassurât. C’était ainsi qu’une familiarité, une sorte de camaraderie s’était nouée entre les trois.