Aller au contenu

Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cret amour qu’il aurait eu pour une dame, morte elle aussi à cette heure. On racontait qu’il l’avait soignée, sans même oser lui baiser le bout des doigts. Jusqu’ici, jusqu’à près de soixante ans, l’étude et la timidité l’avaient détourné des femmes. Mais on le sentait réservé à la passion, le cœur tout neuf et débordant, sous sa chevelure blanche.

— Et celle qui est morte, celle qu’on pleure…

Elle se reprit, la voix tremblante, les joues empourprées, sans savoir pourquoi.

— Serge ne l’aimait donc pas, qu’il l’a laissée mourir ?

Pascal sembla se réveiller, frémissant de la retrouver près de lui, si jeune, avec de si beaux yeux, brûlants et clairs, dans l’ombre du grand chapeau. Quelque chose avait passé, un même souffle venait de les traverser tous deux. Ils ne se reprirent pas le bras, ils marchèrent côte à côte.

— Ah ! chérie, ce serait trop beau, si les hommes ne gâtaient pas tout ! Albine est morte, et Serge est maintenant curé à Saint-Eutrope, où il vit avec sa sœur Désirée, une brave créature, celle-ci, qui a de la chance d’être à moitié idiote. Lui est un saint homme, je n’ai jamais dit le contraire… On peut être un assassin et servir Dieu.

Et il continua, disant les choses crues de l’existence, l’humanité exécrable et noire, sans quitter son gai sourire. Il aimait la vie, il en montrait l’effort incessant avec une tranquille vaillance, malgré tout le mal, tout l’écœurement qu’elle pouvait contenir. La vie avait beau paraître affreuse, elle devait être grande et bonne, puisqu’on mettait à la vivre une volonté si tenace, dans le but, sans doute, de cette volonté même et du grand travail ignoré qu’elle accomplissait. Certes, il était un savant, un clairvoyant, il ne croyait pas à une humanité d’idylle vivant dans une nature de lait, il voyait au con-