traire les maux et les tares, les étalait, les fouillait, les cataloguait depuis trente ans ; et sa passion de la vie, son admiration des forces de la vie suffisaient à le jeter dans une perpétuelle joie, d’où semblait couler naturellement son amour des autres, un attendrissement fraternel, une sympathie, qu’on sentait sous sa rudesse d’anatomiste et sous l’impersonnalité affectée de ses études.
— Bah ! conclut-il, en se retournant une dernière fois vers les vastes champs mornes, le Paradou n’est plus, ils l’ont saccagé, sali, détruit ; mais, qu’importe ! des vignes seront plantées, du blé grandira, toute une poussée de récoltes nouvelles ; et l’on s’aimera encore, aux jours lointains de vendange et de moisson… La vie est éternelle, elle ne fait jamais que recommencer et s’accroître.
Il lui avait repris le bras, ils rentrèrent ainsi, serrés l’un contre l’autre, bons amis, par le lent crépuscule qui se mourait au ciel, en un lac tranquille de violettes et de roses. Et, à les revoir passer tous deux, l’ancien roi puissant et doux, appuyé à l’épaule d’une enfant charmante et soumise, dont la jeunesse le soutenait, les femmes du faubourg, assises sur leurs portes, les suivaient d’un sourire attendri.
À la Souleiade, Martine les guettait. De loin, elle leur fit un grand geste. Eh bien ! quoi donc, on ne dînait pas ce jour-là ? Puis, quand ils se furent approchés :
— Ah ! vous attendrez un petit quart d’heure. Je n’ai pas osé mettre mon gigot.
Ils restèrent dehors, charmés, dans le jour finissant. La pinède, qui se noyait d’ombre, exhalait une odeur balsamique de résine ; et de l’aire, brûlante encore, où se mourait un dernier reflet rose, montait un frisson. C’était comme un soulagement, un soupir d’aise, un repos de la propriété entière, des amandiers amaigris, des oliviers tordus, sous le grand ciel pâlissant, d’une sérénité pure ;