Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/59

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tandis que, derrière la maison, le bouquet des platanes n’était plus qu’une masse de ténèbres, noire et impénétrable, où l’on entendait la fontaine, à l’éternel chant de cristal.

— Tiens ! dit le docteur, monsieur Bellombre a déjà dîné, et il prend le frais.

Il montrait, de la main, sur un banc de la propriété voisine, un grand et maigre vieillard de soixante-dix ans, à la figure longue, tailladée de rides, aux gros yeux fixes, très correctement serré dans sa cravate et dans sa redingote.

— C’est un sage, murmura Clotilde. Il est heureux.

Pascal se récria.

— Lui ! j’espère bien que non !

Il ne haïssait personne, et seul, M. Bellombre, cet ancien professeur de septième, aujourd’hui retraité, vivant dans sa petite maison sans autre compagnie que celle d’un jardinier, muet et sourd, plus âgé que lui, avait le don de l’exaspérer.

— Un gaillard qui a eu peur de la vie, entends-tu ? peur de la vie !… Oui ! égoïste, dur et avare ! S’il a chassé la femme de son existence, ça n’a été que dans la terreur d’avoir à lui payer des bottines. Et il n’a connu que les enfants des autres, qui l’ont fait souffrir : de là, sa haine de l’enfant, cette chair à punitions… La peur de la vie, la peur des charges et des devoirs, des ennuis et des catastrophes ! la peur de la vie qui fait, dans l’épouvante où l’on est de ses douleurs, que l’on refuse ses joies ! Ah ! vois-tu, cette lâcheté me soulève, je ne puis la pardonner… Il faut vivre, vivre tout entier, vivre toute la vie, et plutôt la souffrance, la souffrance seule, que ce renoncement, cette mort à ce qu’on a de vivant et d’humain en soi !

M. Bellombre s’était levé, et il suivait une allée de