Page:Emile Zola - Le Docteur Pascal.djvu/94

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pas raisonnables… Tu penses à moi et tu as de la peine. Pourquoi donc ?

— Oh ! pour des choses que j’aurais de la peine à t’expliquer. Je ne suis pas une savante. Cependant, tu m’as appris beaucoup, et j’ai moi-même appris davantage, en vivant avec toi. D’ailleurs, ce sont des choses que je sens… Peut-être que j’essayerai de te le dire, puisque nous sommes là, si seuls, et qu’il fait si beau !

Son cœur plein débordait, après des heures de réflexion, dans la paix confidentielle de l’admirable nuit. Lui, ne parla pas, ayant peur de l’inquiéter.

— Quand j’étais petite et que je t’entendais parler de la science, il me semblait que tu parlais du bon Dieu, tellement tu brûlais d’espérance et de foi. Rien ne te paraissait plus impossible. Avec la science, on allait pénétrer le secret du monde et réaliser le parfait bonheur de l’humanité… Selon toi, c’était à pas de géant qu’on marchait. Chaque jour amenait sa découverte, sa certitude. Encore dix ans, encore cinquante ans, encore cent ans peut-être, et le ciel serait ouvert, nous verrions face à face la vérité… Eh bien ! les années marchent, et rien ne s’ouvre, et la vérité recule.

— Tu es une impatiente, répondit-il simplement. Si dix siècles sont nécessaires, il faudra bien les attendre.

— C’est vrai, je ne puis attendre. J’ai besoin de savoir, j’ai besoin d’être heureuse tout de suite. Et tout savoir d’un coup, et être heureuse absolument, définitivement !… Oh ! vois-tu, c’est de cela que je souffre, ne pas monter d’un bond à la connaissance complète, ne pouvoir me reposer dans la félicité entière, dégagée de scrupules et de doutes. Est-ce que c’est vivre que d’avancer dans les ténèbres à pas si ralentis, que de ne pouvoir goûter une heure de calme, sans trembler à l’idée de l’angoisse prochaine ? Non, non ! toute la connaissance et tout le bon-