Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/103

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de l’Évêché, par une sorte de vanne, laissée au bas de la muraille ; et, à l’autre bout, à l’angle de l’hôtel Voincourt, elle disparaissait sous une arche voûtée, s’engouffrait dans le sol, pour reparaître, deux cents mètres plus loin, tout le long de la rue Basse, jusqu’au Ligneul, où elle se jetait. De sorte qu’il fallait bien veiller sur le linge, car on pouvait courir : toute pièce lâchée était une pièce perdue.

— Mère, attendez, attendez !… Je vais mettre cette grosse pierre sur les serviettes. Nous verrons si elle les emportera, la voleuse !

Elle calait la pierre, elle retournait en arracher une autre aux décombres du moulin, ravie de se dépenser, de se fatiguer ; et, quand elle se meurtrissait un doigt, elle le secouait, elle disait que ce n’était rien : Dans la journée, la famille de pauvres qui se terrait sous ces ruines, s’en allait à l’aumône, débandée par les routes. Le clos restait solitaire, d’une solitude délicieuse et fraîche, avec ses bouquets de saules pâles, ses hauts peupliers, son herbe surtout, son débordement d’herbe folle, si vivace, qu’on y entrait jusqu’aux épaules. Un silence frissonnant venait des deux parcs voisins, dont les grands arbres barraient l’horizon. Dès trois heures, l’ambre de la cathédrale s’allongeait, d’une douceur recueillie, d’un parfum évaporé d’encens.

Et elle battait le linge plus fort, de toute la force de son bras frais et blanc.