Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/109

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était trop heureuse, elle avait un besoin de rire, de rire à perdre haleine, qui la débordait.

Enfin, elle crut qu’elle pouvait parler, voulut dire simplement :

— Merci, monsieur.

Mais le rire était revenu, le rire la fit bégayer, lui coupa la parole ; et le rire sonnait très haut, une pluie de notes sonores, qui chantaient, sous l’accompagnement cristallin de la Chevrote. Lui, déconcerté, ne trouva rien, pas un mot. Son visage, si blanc, s’était brusquement empourpré ; ses yeux d’enfant timide avaient flambé, pareils à des yeux d’aigle. Et il s’en alla, il avait disparu avec le vieil ouvrier, qu’elle riait encore ; penchée sur l’eau claire, s’éclaboussant de nouveau à rincer son linge, dans l’éclatant bonheur de cette journée.

Le lendemain, dès six heures, on étendit le linge, dont le paquet s’égouttait depuis la veille. Justement, un grand vent s’était levé qui aidait au séchage. Même, pour que les pièces ne fussent pas emportées, on dut les fixer avec des pierres, aux quatre coins. Toute la lessive était là, étalée, très blanche parmi l’herbe verte, sentant bon l’odeur des plantes ; et le pré semblait s’être fleuri soudain de nappes neigeuses de pâquerettes.

Après le déjeuner, lorsqu’elle revint donner un regard, Angélique se désespéra : la lessive entière menaçait de s’envoler, tellement les coups de vent devenaient plus forts, dans le ciel bleu, d’une limpidité