Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/121

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de l’aubaine, pour ses pauvres ; mais elle n’avait plus de bonheur à donner, triste de donner si peu, lorsqu’un autre donnait tant. Le maladroit, ne comprenant pas, croyant la conquérir, cédait à un besoin de largesses attendri, lui tuait ses aumônes. Sans compter qu’elle devait subir ses éloges, chez tous les misérables : un jeune homme si bon, si doux, si bien élevé ! Ils ne parlaient plus que de lui, ils étalaient ses dons comme pour mépriser les siens. Malgré son serment de l’oublier, elle les questionnait sur son compte : qu’avait-il laissé, qu’avait-il dit ? et il était beau, n’est-ce pas ? et tendre, et timide ! Peut-être osait-il parler d’elle ? Ah ! bien sûr, il en parlait toujours ! Alors, elle l’exécrait décidément, car elle finissait par en avoir trop lourd sur le cœur.

Enfin, les choses ne pouvaient continuer de la sorte ; et, un soir de mai, par un crépuscule souriant, la catastrophe éclata. C’était chez les Lemballeuse, la nichée de pauvresses qui se terraient dans les décombres du vieux moulin. Il n’y avait là que des femmes, la mère Lemballeuse, une vieille couturée de rides, Tiennette, la fille aînée, une grande sauvagesse de vingt ans, ses deux petites sœurs, Rose et Jeanne, les yeux hardis déjà, sous leur tignasse rousse. Toutes quatre mendiaient par les routes, le long des fossés, rentraient à la nuit, les pieds cassés de fatigue, dans leurs savates que rattachaient des ficelles. Et, justement,