Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/122

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ce soir-là, Tiennette, ayant achevé de laisser les siennes parmi les cailloux, était revenue blessée, les chevilles en sang. Assise devant leur porte, au milieu des hautes herbes du Clos-Marie, elle s’arrachait de la chair des épines, tandis que la mère et les deux petites, autour d’elle, se lamentaient.

À ce moment, Angélique arriva, cachant sous son tablier le pain qu’elle leur donnait chaque semaine. Elle s’était échappée par la petite porte du jardin, et l’avait laissée ouverte derrière elle, car elle comptait rentrer en courant. Mais la vue de toute la famille en larmes l’arrêta.

— Quoi donc ? qu’avez-vous ?

— Ah ! ma bonne demoiselle, gémit la mère Lemballeuse, voyez dans quel état cette grande bête s’est mise ! Demain, elle ne pourra pas marcher, c’est une journée fichue… Faudrait des souliers.

Les yeux flambants sur leur crinière, Rose et Jeanne redoublèrent de sanglots, en criant d’une voix aiguë :

— Faudrait des souliers, faudrait des souliers.

Tiennette avait levé à demi sa tête maigre et noire. Puis, farouche, sans une parole, elle s’était fait saigner encore, acharnée sur une longue écharde, à l’aide d’une épingle.

Émue, Angélique donna son aumône.

— Voilà toujours un pain.

— Oh ! du pain, reprit la mère, sans doute il en faut. Mais elle ne marchera pas avec du pain, bien