Aller au contenu

Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

désespérer Félicien, de le renvoyer ainsi, avec la pensée qu’elle ne l’aimait pas, enfoncée en plein cœur, comme un couteau ? Elle l’aimait, et elle lui avait fait cette souffrance, et elle-même en souffrait affreusement. Pourquoi tant de douleur ? Les saintes demandaient-elles des larmes ? est-ce que cela aurait fâché Agnès, de la savoir heureuse ? Un doute, maintenant, la déchirait. Autrefois, lorsqu’elle attendait celui qui devait venir, elle arrangeait mieux les choses : il entrerait, elle le reconnaîtrait, tous deux s’en iraient ensemble, très loin, pour toujours. Et il était venu, et voilà que l’un et l’autre sanglotaient, à jamais séparés. À quoi bon ? que s’était-il donc produit ? qui avait exigé d’elle ce cruel serment, de l’aimer sans le lui dire ?

Mais, surtout, la crainte d’être la coupable, d’avoir été méchante, désolait Angélique. Peut-être la fille mauvaise avait-elle repoussé. Étonnée, elle se rappelait son manège d’indifférence, la façon moqueuse dont elle accueillait Félicien, le plaisir de malice qu’elle prenait à lui donner d’elle une idée fausse. Ses larmes redoublaient, son cœur fondait d’une pitié immense, infinie, pour la souffrance qu’elle avait ainsi faite, sans le vouloir. Elle le revoyait toujours s’en allant, elle avait présente la désolation de son visage, ses yeux troubles, ses lèvres tremblantes ; et elle le suivait dans les rues, chez lui, pâle, blessé à mort par elle, perdant le