Page:Emile Zola - Le Rêve.djvu/208

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part et d’autre, on ne pouvait souhaiter mieux, ni comme nom ni comme argent. L’abbé approuve beaucoup cette union.

La jeune fille n’écoutait plus ces raisons de convenance. Une image s’était brusquement évoquée devant ses yeux, celle de Claire. Elle la revoyait passer, telle qu’elle l’apercevait parfois sous les arbres de son parc, l’hiver, telle qu’elle la retrouvait dans la cathédrale, aux fêtes : une grande demoiselle brune, de son âge, très belle, d’une beauté plus éclatante que la sienne, avec une démarche de royale distinction. On la disait très bonne, malgré son air de froideur.

— Cette grande mademoiselle, si belle, si riche… Il l’épouse…

Elle murmurait cela comme en songe. Puis, elle eut un déchirement au cœur, elle cria :

— Il ment donc ! il ne me l’a pas dit.

Le souvenir lui était revenu de la courte hésitation de Félicien, du flot de sang dont ses joues s’étaient empourprées, lorsqu’elle lui avait parlé de leur mariage. La secousse fut si rude, que sa tête décolorée glissa sur l’épaule de sa mère.

— Ma mignonne, ma chère mignonne… C’est bien cruel, je le sais. Mais, si tu attendais, ce serait plus cruel encore. Arrache donc tout de suite le couteau de la blessure… Répète-toi, à chaque réveil de ton mal, que jamais Monseigneur, le terrible Jean XII, dont le monde, paraît-il, se rappelle